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- MSz, une science pratique du singulier
Martin Szekely
éditions JRP|Ringier
2010
MSz, une science pratique du singulier
Élisabeth Lebovici
On aura longtemps tourné autour du pot pour tenter d’exprimer d’un mot ordinaire et précis l’impression produite par chaque table, bureau, étagère, chaise, boîte de Martin Szekely. Trouver le terme juste pour les tables M.L. et P.B. (2002 et 2005), pour la console K.L. (2003), entités réfléchissantes du pied au plateau, si uniment qu’elles renvoient la disparité du monde qui les entoure, ou pour les bouts de canapé Bing One et Bing Two (2007), monolithes de cristal moulé ressemblant à des blocs d’énergie gelée, relève d’une gageure. Comment dire simplement, en effet, cette sensation d’« un », d’unité, de résolution associée à la discrétion et à l’évanescence de l’objet en question ? Comment décrire le sentiment de plénitude sans virer au mystique ?
Martin Szekely, sans doute, n’éprouve pas ce genre de problèmes de nomination et parle peut-être plus volontiers d’unité à propos de ses travaux. Mais il est l’artiste, le producteur, le penseur… —encore un autre problème d’étiquettes inadéquates.Comment, en d’autres termes, exprimer cette monumentalité compacte mais aussi cette radicalité élémentaire qui saisit lorsqu’on regarde des étagères (2004-2005) qui sert d’incipit à cet ouvrage, les boîtes S.A.M. (2005) ou le bureau F.P. (2002), qu’ils soient photographiés en studio dans un contexte abstrait, ou in situ dans l’environnement au sein duquel ils font leur office. À propos de l’Armoire (1999) faite d’une seule feuille d’alucobon découpée et pliée comme un origami sans vis ni écrous, Martin Szekely a évoqué la notion d’« objet incompressible parce qu’il est sans doute le pendant du corps ». Même le marche-pied N.G. (2002) en contreplaqué résiné devient ainsi, dans son environnement, un objet de première nécessité : il réunit trois boîtes, qui sont également des marches irrémédiablement solidaires, dans une bibliothèque, à laquelle l’escabeau donne accès dans sa hauteur, tout en permettant de tirer un ouvrage, de s’y asseoir et d’y lire. D’y méditer. L’Américain Donald Judd, qui fut aussi un grand critique avant d’être un artiste, utilise le terme de « singleness » [1], mot intraduisible sauf, peut-être, par une formule de Michel de Certeau, lorsque celui-ci parle de « science pratique du singulier ». Et, faute de mieux, c’est à une singulière absence de dualité qu’on réfèrera aussi pour qualifier ces meubles, qui apparaissent tout d’un bloc, souvent comme une énigme et toujours comme un nom : chaise, table, bureau, armoire, boîte, bout de canapé, fauteuil, pouf, miroir. Ce nom commun est, la plupart du temps, leur nécessaire condition. Ils ne se prêtent pas à la fragmentation en une composition qui les déconcentrerait même si, parfois, différentes matières se rencontrent à l’occasion de la table N.G. (2006), du bureau F.P. ou des Stonewood One,
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