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- MSz, une science pratique du singulier
Design et dessin sont ainsi irrémédiablement liés dans la conscience occidentale de l’art, rapportant le dessin à un tout autre champ de signification que celui auquel ses caractères physiques le rattachent. Du dessein à l’idéal, en effet, il n’y a qu’un pas _ un pas paradoxal, qui réunit un acte pur de la pensée et son résultat visible auquel participe aussi le travail de la main. Ainsi s’articula, dans la France académique de Louis XIV, le retournement, qui organisait une défense contrôlée du dessin, et non plus du dessein, comme technique majeure de l’imitation, commune à la peinture et à la sculpture et fonction d’une habileté manuelle reposant sur un savoir d’ordre technique, où la théorie est entièrement finalisée par la pratique.
Le dessin comme « patron » de l’art, y compris des arts appliqués _ ceux qui, dans la hiérarchie, ressortent de la pratique _ cite, ainsi, toute une histoire qui converge en son nom. N’est-ce pas le sens de cette note pertinente de Matisse, en 1945, lorsque, faisant le bilan de ses recherches en matière d’abandon du dessin comme contour pour laisser place à l’action directe de la couleur, il écrit : « Dire que la couleur est redevenue expressive, c’est faire son histoire »[10]. C’est, pour lui, apprécier un même retournement et constater que l’histoire de la couleur dans l’art occidental est celle de son refoulement. Telle est la lecture derridienne de Jean-Jacques Rousseau. La couleur soumise au dessin renferme une valeur de suspicion, qui relève de l’interdit jeté sur le corps et est historiquement liée à la féminité[11]. « Tout ton coloris n’est rien d’autre, vénitien / Qu’emplâtre à colmater une sale putain »[12], énonça William Blake en 1808. « Renoncer » au dessin comme patron, c’est adopter un discours déviant. La couleur pour Matisse est un principe de plaisir qui trouble la représentation. Il n’est pas anodin que MSz formule, dans le pot de fleurs ou dans le plat à nourriture, deux motifs de jouissance sensorielle, ce qui lui servira ultérieurement de méthode. Voilà pour « l’austérité » supposée des meubles de MSz, qui ont plus à faire avec des questions de règle et de transgression qu’avec une mythologie du dépouillement.
Revenons à notre « singleness », à l’unité éprouvée et indicible, faite, non d’une accumulation de signes relevant d’une signature d’artiste, mais d’une donnée collective, d’une prise en considération des usages sociaux, des comportements communs. Les étants-donnés de son art, MSz les trouve donc dans la notion d’usage comme il cherche ses potentialités dans cette activité de laboratoire qui consiste à tester des textures toujours plus résistantes, c’est-à-dire moins encombrantes pour le regard.
L’usage est ce qui permet de sortir de la belle forme, du beau dessin, de l’art surligné comme tel. Ainsi le fauteuil Domo (2004), structure composée de bois, de métal et d’un assemblage complexe de mousses recouvertes de cuir : son dossier droit et son assise en cube permettent néanmoins, grâce à la fente qui les sépare et aux densités différentes des mousses, une variété de positions confortables.
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