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- MSz, une science pratique du singulier
« Une chaise ou un building non fonctionnels, et qui se proposeraient seulement comme des oeuvres d’art seraient ridicules. L’art de dessiner une chaise n’a rien à voir avec la conception d’une oeuvre d’art, il consiste en partie à créer un objet qui, comme chaise, soit fondé dans la raison, qui soit utilitaire et dont les dimensions soient bonnes. Une chaise doit tenir compte de la proportion qui est la raison rendue visible… Une oeuvre d’art existe en soi ; une chaise existe en tant que chaise. L’idée d’une chaise n’a rien à voir avec l’objet lui-même »[13]. MSz aime à citer ces propos de Donald Judd, lequel a régulièrement souligné la distinction, fondamentale à ses yeux, entre l’art et les arts appliqués. Même si Judd a contribué au brouillage de son engagement esthétique, c’est précisément dans ce distinguo qu’ont résidé les enjeux de sa production utilitaire, comme sa chaise de contreplaqué du milieu des années 1980, provoquant « un sentiment envahissant de déjà vu, qui est tout à fait légitime si l’on considère à quel point le matériau qui les constitue _ le contreplaqué _ possède une longue histoire dans le design de meubles depuis Charles Eames. »[14]
Ce ne sont pas tant les « déjà vus » qui intéressent MSz, que les « déjà là », constitués par les usages et par l’usage, deux termes qui ne se recoupent pas exactement. Partager un repas ou se concentrer dans la lecture, exécuter une tâche ou réfléchir, classer ou défaire, toutes ces situations composent une chorégraphie d’histoires et dessinent un manuel de civilité silencieux (ou de civilité silencieuse si on se réfère à nombre de situations méditatives). En ce sens, chaque geste accompli est une citation. Dans la notion d’usage, il y a usé, bien sûr : il y a la préhension, le toucher, l’expérience du corps individuel mais il y a aussi le corps social. Car pour prendre un objet, il faut d’abord l’avoir reconnu et le geste fait indique cette reconnaissance, dont l’objet recueille la citation. Judith Butler a bien montré comment le corps n’est pas un antécédent au discours. « Le corps posé comme antérieur au signe est toujours posé ou défini comme antérieur » : nous ne pouvons pas avoir accès au corps sauf à recourir au discours, ce qui ne veut pas dire que le corps doive être réduit au discours, comme s’il fallait opposer l’un à l’autre et rester « aveugle à la vérité toute simple, que tous les signes sont eux-mêmes matériels. »[15]
MSz : « L’usage que nous faisons de la table en Occident se résume ailleurs à un matériau qui isole du sol : un tapis, une natte, une nappe, une planche. La table protège du sol. C’est un objet qui est dans une situation intermédiaire entre la terre, les hommes et l’architecture. Structurellement, la table comporte des similitudes avec la structure de l’ingénieur calculée à l’échelle de l’architecture. Une table qui n’est pas stable tout comme un bâtiment n’est pas viable. » Dans cette économie, où le travail de l’artiste fonctionne par citation, cela veut dire aussi que la réalité des objets dans le monde n’est pas une donnée naturelle, mais fonction de normes, qui sont autant de règles à reconnaître, à situer, et sans doute à rejouer.
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