- français
- english
- MSz, une science pratique du singulier
Il s’agit de mettre au jour la « petite » ou grande liberté qu’on prend avec le code, avec la règle. Comme le dit le philosophe Matthieu Potte-Bonneville lorsqu’il discute des usages chez Michel Foucault : « …leur usage, c’est d’interrompre l’évidence des usages, et leur efficacité réside tout entière dans ce qu’elles rendent difficile. Non pas : “tout est permis”, mais : “faire en sorte, avec bien d’autres, que certaines phrases ne puissent plus être dites aussi facilement ou que certains gestes ne soient plus faits au moins sans quelque hésitation” ; ”rendre difficiles les gestes trop faciles”. Une politique des usages peut bien convoquer, dans son discours, le lexique des forces : elle ne cesse pourtant d’être anti-autoritaire. Non par surcroît de vertu : parce qu’elle neutralise les effets d’autorité non seulement chez ses adversaires, mais tout autant du côté de son énonciateur. »[16]
C’est sans doute non sans rapport avec ces questions d’autorité, que MSz n’a que peu d’affinités avec le mot et la catégorie du fonctionnalisme. Il ne s’agit pas, comme il le dit, de « rabattre la forme (l’esthétique) sur la fonction », de mettre l’aujourd’hui au service d’une affectation univoque qui servirait d’alibi, mais au contraire, de libérer la fonction à partir de ce qui est déjà dit, de ce qui a déjà été fait.
Prenons le cas de la boîte, qui a le grand avantage, pour la démonstration, de se situer à la jonction de l’art et de l’objet et de rencontrer plusieurs civilisations, comme le rappellent les Chinese boxes (2004). Il y a les boîtes de Judd et les boîtes de Szekely _ et par extension, MSz fait de « la boîte » la métaphore princeps de son oeuvre[17]. Toutes deux sont possibles, plausibles. Mais dans l’art minimal de Judd ou de Robert Morris _ situé historiquement et géographiquement dans le New York des années 1960 et contre l’expressionnisme abstrait _, éliminer toute illusion pour imposer des objets qui ne doivent être vus que pour ce qu’ils sont, cela devrait produire simplement des objets tautologiques. Et si Judd rêve d’une « chose prise comme un tout »[18], douée d’une qualité elle-même prise comme un tout, et dotée d’une « Gestalt » reconnaissable, dans la réalité qui se produit, cependant, cette totalité insécable se brise ou s’enfuit. Dès qu’il y a cube _ y compris dans une œuvre dotée du minimum de contenu d’art _, le plein et le vide s’invitent ; et bientôt les significations du volume se mesurent au plein et au vide du corps, c’est-à-dire au fantôme et à la perte d’un corps. Telle est la boîte de Pandore qu’ouvre le minimalisme. C’est ce que montre Georges Didi-Huberman dans son analyse de la « boîte noire », fantôme de l’être mort. La stabilité des objets, qui constitue tout l’enjeu minimaliste _ stabilité dans l’espace mais aussi stabilité dans le temps, où les objets ne « sont qu’â être stables », comme l’écrit Didi-Huberman _ devient ici un enjeu concret et ludique. Et très vite, le new-yorkais Joseph Kosuth vend la mèche, exposant cinq boîtes cubiques transparentes en verre sous le titre Box-Cube-Empty-Clear-Glass. Cinq dénominations, cinq contenus pour un même objet répété à cinq reprises. Le tour est joué : ceci n’est pas une Pipe. Les jeux de significations existent quand même, là où les Minimalistes n’en veulent pas. Même si la sculpture n’est rien d’autre que ce qu’on voit, la force de l’objet reste formulée en propos intersubjectifs.
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13