« Ne plus dessiner». En 1996, Martin Szekely déclare vouloir désormais placer son travail sous l’égide de cette règle. Si cette assertion peut sembler provocante chez un « designer » consacré comme tel en 1983 alors même qu’il signe sa première pièce, la magistrale chaise longue Pi, il s’agit pourtant d’un réel engagement et d’un renversement assigné à la position du créateur. En mettant en rapport objets et textes, cette exposition permet d’approcher les fondements d’une démarche singulière et d’en constater les effets sur les réalisations des quinze dernières années. Un film de Mark Lewis, crée pour cette occasion, apporte une contribution majeure à cette tentative d’élucidation du sens d’une oeuvre qui s’impose tout en restant énigmatique.

« Ne plus dessiner », c’est sans aucun doute signifier un retrait face à l’emballement de la consommation effrénée de biens et de signes, mais c’est plus profondément, et en premier lieu, le refus affirmé de mettre en avant son moi, sa propre subjectivité ; c’est faire le choix de ne plus s’appuyer sur celle-ci en tant que moteur de création.

Ne plus s’exprimer en tant qu’auteur, permet de mettre en évidence ce que Martin Szekely appelle « les pierres dures » qui constituent le propre des objets : « leur origine, leur définition, leur mise en oeuvre et leur destination.»

Ce travail de mise à distance et d’analyse permet de révéler, en creux, ce que sont les objets : la permanence de leurs nécessités objectives – supporter et contenir – associées à des valeurs plus subjectives et symboliques relatives aux usages et coutumes. Il s’agit dès lors de les faire exister grâce aux matériaux et aux techniques d’aujourd’hui. Entre la neutralité de leur définition et l’impersonnalité des technologies qui nous sont communes, chaque nouvelle pièce lance un fil tendu à l’extrême. Écartant tout ce qui risquerait d’en rompre l’équilibre, cette méthode de création, au plus juste, ou rien ne peut être ajouté ou retranché, laisse l’objet disponible pour tous les usages, pour toutes les formes d’appropriation et de jouissance offertes au destinataire : une économie, dont la dimension éthique génère in fine la dimension esthétique.

Le travail de Martin Szekely conduit à s’interroger sur la place qu’occupent les objets non seulement dans nos vies ordinaires mais aussi sur la scène de l’art. Pierre Staudenmeyer indiquait ainsi : « Les meubles occupent un terrain humble sur le territoire de l’art, à cause de leur implacable appartenance à la fonctionnalité et pourtant, par là même, ils ont un pouvoir que les oeuvres d’art n’ont pas. »

Françoise Guichon