Propos recueillis par Françoise Guichon, conservatrice, Musée National d’Art Moderne – septembre 2011
ne plus dessiner, c’est sous cet intitulé emprunté à une déclaration presque provocante de Martin Szekely qu’est présenté son travail au Centre Pompidou. Cette exposition rassemble une vingtaine de pièces de mobilier et une vingtaine de produits industriels réalisés après cette prise de position de 1996. Son travail s’impose au regard, semble couper court à tout commentaire et ne vouloir solliciter ni notre imaginaire, ni notre goût de la nouveauté, ni même les ressorts de la séduction.
Françoise Guichon– Qu’en est-il de cette légère mise à distance que certains pourraient qualifier de froideur ?
Martin Szekely – « Refroidir », ce pourrait être un mot d’ordre en ces temps de surchauffe où tout semble vouloir – et devoir – solliciter les sentiments, les sensations et l’affect. N’y aurait-il pas, au contraire, de plage de silence et d’espace pour le retrait ? Les meubles, par leur nature humble et ordinaire, sont tout indiqués pour tenir ce rôle. C’est ce rôle que je rappelle : je mets en évidence leur origine, leur définition, leur mise en œuvre et leur destination. Analyser ces données est une grande part de mon travail. Les objets et les meubles concentrent des intentions multiples. Ne pourrait-on pas s’en tenir à leur raison d’être, en tout premier lieu l’usage, sans forcément exposer la brillance et la sensibilité du designer, la virtuosité de l’artisan, l’exploit technologique, la suprématie de la marque? En résulterait un objet dans ce qu’il a de plus sec. À partir de là, les usages dans leur multiplicité pourraient advenir.
FG – Vous n’employez presque jamais le terme de design, pourquoi cette méfiance ?
MSz – Le mot en lui-même est riche de sens : des signes, dessin, projet… A contrario, son sens communément partagé est restrictif et connoté ; il évoque le plus souvent une attitude positiviste pour un « monde meilleur ». Pour ma part, le travail se résume essentiellement à constater l’état actuel du monde dans un domaine circonscrit : celui des usages, des matériaux et des structures, à l’échelle du mobilier. Faire ce qui est possible, le jour et à l’endroit où l’on agit.
FG – L’exposition se tient dans une galerie du musée et côtoie les collections d’art contemporain. Quel est votre rapport à ces œuvres et comment situez-vous votre travail dans ce
contexte ?
MSz – Mis à part l’adolescence où j’ai, de façon délibérée, tourné le dos à l’art, ma vie se fait entre autres, au contact des œuvres et des artistes. Aujourd’hui mes meubles et objets trouvent leur place parmi les œuvres d’art de collectionneurs : ils s’approprient ces pièces pour leur usage quotidien. Pierre Staudenmeyer disait : « Les meubles occupent un terrain humble sur le territoire de l’art, à cause de leur implacable appartenance à la fonctionnalité et pourtant par là même, ils ont un pouvoir que les œuvres d’art n’ont pas ».