Catalogue

2000

1988 – 2000
Notes et bribes de conversation échangées

entre Martin Szekely et Françoise Guichon

Une commande : un dessin ?

En 1988, le CIRVA invite Martin Szekely à réaliser un vase pour la commande publique : 30 vases pour le CIRVA.

Interview, mai 2000.

En 89, tu m’invites à faire un vase et j’arrive avec un projet qui s’avère être une impossibilité à cause de ma méconnaissance de la technique du verre. Je refais un nouveau projet qui est encore sous forme de dessin. Mais au contact du souffleur je me rends compte que ce dessin est une silhouette, un périmètre de la pièce à réaliser qui ne sera pas réalisée à l’identique du dessin. Je prends alors conscience que la technique du soufflage consiste à interrompre un processus en train de se faire et non pas à construire une pièce…

Interrompre un processus

Interview, mai 2000.

…Ici pour la première fois j’interrompais un processus et c’est cette interruption qui faisait office d’intention…

Changement de cap

Lettre de Martin Szekely du 23 juillet 98.
…Comme je te l’ai expliqué, cette exposition, (MartinSzekelyDesigner, Grand-Hornu, 1998) a marqué la fin d’une période pour laquelle le dessin était central. Une nouvelle période s’annonce plus ouverte sur les expériences et si possible les micro-inventions réalisées à partir de ces très légers déplacements du regard que l’on pose sur ce que l’on connaît déjà. Fais-moi signe dès qu’il y a la possibilité de faire quelques essais ensemble dans l’atelier du CIRVA…

Une démarche

Interview, mai 2000.

… A l’époque du vase jaune en 1989, les intentions étaient alors plus qu’intuitives, j’étais en train de chercher ce qui m’anime aujourd’hui. Il y a plusieurs travaux qui ponctuent ces presque vingt ans de dessin et qui m’ont conduit de temps en temps de façon instinctive là où j’allais venir. Le vase jaune fait partie de ces objets comme le fauteuil Marie-France, le sac Delvaux et quelques autres pièces…

…Le dessin, qui est maintenant une pratique révolue pour moi, met dans un état égocentrique, c’est toujours un dessin expressif qui signe le projet. Aujourd’hui, j’essaie autre chose qui ne passe pas par ce dessin. Je souhaite que mon travail soit plus mental, qu’il s’apparente plus à une démarche…

Reprendre la technique “mistral”

Pour cette nouvelle réflexion sur le verre, Martin Szekely a fixé son sujet de recherche : ll s’agit de reprendre le procédé “mistral” imaginé par Gaetano Pesce et mis au point par le CIRVA entre 1988 et 1992. Ce procédé consiste à projeter des grains de verre (assimilé au sable, composé originel du verre) en fusion sur un support en matériau réfractaire. Ce support est ensuite dégagé de la coque en verre projeté. Le procédé permet entre autres de façonner des formes impossibles à réaliser par tout autre procédé verrier (l’enjeu de départ ayant été pour Gaetano Pesce de réaliser une bautta: masque vénitien traditionnel), et de varier à l’infini les épaisseurs, les états de surface plus ou moins fusionnées, les couleurs, etc. L’ambition

Interview, mai 2000.

…L’ambition est de faire avec les moyens du bord, et d’opérer un léger déplacement pour révéler et faire renaître ce sur quoi on travaille, pour révéler la chose de façon nouvelle. Le choix de reprendre le procédé de Gaetano (relève de cette ambition) mais ce choix est aussi une réaction par rapport à son travail…

La nouveauté et les petits déplacements

Interview, mai 2000.

Pour parvenir à la nouveauté, il faut mettre en place un procédé nouveau. Un procédé nouveau n’a rien à voir avec un matériau nouveau. Comme avec les plats, on parviendra à un matériau nouveau, parce que, grâce à ce prédécesseur, le procédé est nouveau. Les inventions me semblent être des actes rares. Par contre, on pourrait s’attacher à travailler sur les très légers petits déplacements, très légers petits déplacements du regard sur des choses que l’on connaît déjà, et ainsi voir les choses différemment…

Fantômes – lieux communs et articulations

Notes, mars 99.

Martin Szekely précise son projet : Avec le procédé “mistral”, il s’agira de réaliser des fantômes d’objets élémentaires, des lieux communs. Il souhaite également explorer les possibilités qu’offrirait le procédé pour souder entre eux des plans de verre orthogonaux.

…Fantôme ou signe d’objet, signe en pensant à silhouette. On pourrait dire que ces signes d’objets appartiennent à tout le monde et que par ce biais ils sont appropriés par tout le monde. Je pense ici au verre Perrier, ou au bijou sécable que j’ai fait pour Hermès… Peau et cicatrices – contenant

Notes, mars 99.
Martin Szekely voit les premiers essais de fantômes de pots de fleurs et les premiers essais de soudure de plans. Il associe l’un et l’autre types d’essais à des impressions de peau et des cicatrices. Fortuitement l’observation de l’eau remplissant le fond d’un pot de fleur en cours de travail de finition l’oriente définitivement vers l’idée du contenant. Dans ces premiers essais, Martin apprécie également le fait que le procédé impose une face lisse et une face rugueuse.

Le pot s’aplatit jusqu’au retournement de la peau

Début juillet 99.

Martin Szekely donne des indications pour la fabrication de container ou plat, qui ne passeraient pas par le dessin. Ceux-ci associent simplement des plans verticaux orthogonaux à un plan horizontal. Le verre est projeté sur ces containers plats et rectangulaires et nappe l’extérieur du moule. En aplatissant le contenant jusqu’aux limites du plat, la projection qui se faisait à l’extérieur doit se faire à l’intérieur et, selon la logique du procédé : une face mate en contact avec la matrice, une face lisse à l’air libre, la face lisse jusqu’alors l’extérieur devient l’intérieur du contenant. Pour Martin Szekely, le fait que ce contenant soit désormais lisse à l’intérieur en confirme l’usage premier à savoir isoler les aliments et le contenu de son environnement. Il faut noter également que cet aplatissement fait passer le support de la projection de l’état de noyau central à celui de creux défini de l’extérieur.

Interview, mai 2000.
… D’une certaine façon j’ai retourné la peau du travail de Gaetano en mettant l’intérieur à l’extérieur. Le travail de Gaetano s’intéresse peu à l’usage, alors que dans mon projet la valeur d’usage imposait que le côté tendu, lisse, lavable soit à l’intérieur du contenant…

Vacances et Silence

Juillet 99 – septembre 99.
Légère insatisfaction…….. ?

Du rectangle à l’aléatoire : la logique de l’élastique

Septembre 99.

Martin envoie au CIRVA un sketch-board de formes de plat obtenues comme au hasard selon la logique de l’élastique grâce à la flexibilité du matériau utilisé (papier réfractaire) pour former les bords du plat. Sept de ces formes aléatoires seront retenues parmi un grand nombre de possibilités pour n’évoquer aucune forme ou référence formelle particulière et donneront lieu à la fabrication de moules d’empreintes permettant de les reproduire. La logique de fabrication des formes par la rencontre d’un plan vertical souple et d’un plan horizontal détermine un bord évident entre l’intérieur désormais lisse, et l’extérieur désormais rugueux puisque contrairement aux formes obtenues de l’extérieur par Gaetano Pesce, la projection se fait ici à l’intérieur même du moule. Martin Szekely soulignera cette frontière intérieur/extérieur par une coupe franche de la tranche qui mettra également en évidence les variations d’épaisseur dues aux temps de projection plus ou moins long en un point ou l’autre du plat.

Périmètre

Interview, mai 2000.
…(Avec les plats) Il s’agit de délimiter un périmètre qui n’est pas dessiné. On peut, à partir de cette limite, imaginer des milliers de pièces, je ne suis pas à l’origine de cette idée qui est celle de l’élastique, ou encore celle des “Stoppages-Etalon” de Duchamp…

Diversité

Interview, mai 2000.
…Avec un même moule, un même type de geste du réalisateur, nous n’avons jamais deux objets identiques.

Ces plats rendent compte de façon exagérée qu’avec le verre on ne construit pas les pièces, qu’il s’agit d’une technique liée à l’interruption d’un geste et également qu’il n’y a pas de maîtrise à 100/100 du résultat…

Les pièces écartées

Interview, mai 2000.

…Les pièces qui ont été écartées sont celles où il y a deux intentions qui viennent se contredire, quand les pièces sont pincées (indiquant une volonté d’infléchir un pourtour défini de façon aléatoire) ou encore lorsqu’il y a un dépôt de matériau étranger tombé du four sur la pièce en cours de réalisation, ou bien encore lorsqu’il y a un accident quelconque. Ce sont les pièces accidentées qui ont été écartées, l’accident consistant en la rencontre de deux intentions dont l’une n’est pas prévue. S’il y a un imprévu étranger à cet ensemble d’éléments contrôlés cela peut se résumer à une pièce mauvaise, le regard va avoir un élément de trop à analyser. Je voudrais que les objets dont je parle aujourd’hui soient le plus “un” possible…

Les plats : un travail de démonstration ?

Interview, mai 2000.
…Oui, immense et privé. Ailleurs je cherche également à faire plaisir aux autres…

Le plat : un objet incompressible

Interview, mai 2000.
…Le plat comme l’armoire est un objet incompressible parce qu’il est sans doute le pendant du corps. Ça m’intéresse de faire l’inventaire de ces objets dont on ne peut pas se passer et cela n’a rien à voir avec la nostalgie, pour isoler la nourriture du sol il faut le plat. Je parlerai d’urgence, de première nécessité, de préhistoire…
L’image

Interview, mai 2000.

…Je n’ai pas envie que les projets restent à l’état d’image mais que leur intention soit réalisée. Chaque objet a une carte d’identité : son histoire, la technique employée pour le réaliser et sa destination. Avec ces trois éléments je pense pouvoir dans tous les cas de figure intentionner les objets et les concrétiser. S’il y a une intention qui traverse ces données c’est de situer le projet en deçà du style et de la manière. Il y a aussi quelque chose que je n’arrive pas très bien à exprimer et qui est la notion d’urgence et de nécessité, d’économie mentale. Pour ce plat par exemple, il y a l’idée que je fais une empreinte dans le sable que je projette de la matière dans ce sable. Il s’agit de rejoindre l’intitulé de la pièce avec le minimum de moyens en tenant compte des trois points cités et tout particulièrement celui concernant la culture de la pièce…

La nécessaire matérialisation

Interview, mai 2000.
…La matière s’impose dès le début. Sinon il suffirait d’écrire sur les objets. Une solution serait d’en parler, mais je tiens à cette réalisation. Ça m’intéresse de faire face à la matière, celle-ci aussi et incompressible…

Le projet développé par Martin Szekely au CIRVA en 1999/2000, utilise la technique
“mistral” mise au point par Gaetano Pesce entre 1988 et 1992.